22 octobre 2021
Avant-hier, j’ai trouvé un journal intime abandonné dans le métro, des mots que je m’apprête à recopier. Qu’est-ce qui nous pousse à raconter nos vies? Voulons-nous mieux nous connaitre nous-même? J’ai commencé à écrire après une dépression. Quand j’y repense, je me dit que l’inquiétude qui traverse le récit de cette jeune femme n’est pas loin de la mienne à l’époque où je suis tombée malade. Voici quelques extraits de son journal :
9 septembre 2017
Depuis quelques jours, quand je me tiens dans la cuisine, je me sens observée, une sensation diffuse, désagréable qui est certainement liée à mon imagination.
J’éprouve beaucoup d’angoisse. J’attends, pour ainsi dire, de savoir ce qu’il faut attendre. Plus tôt, j’ai ouvert mon agenda et découvert écrit de ma main : 11h30, Monsieur Génésis, 53 rue Poucet. Suivait un numéro de téléphone qui commençait par 08. Je suis restée interloquée, me demandant à quel moment j’avais pu prendre ce rendez-vous. Je ne connais aucun monsieur Génésis.
Ma mère a téléphoné. Elle m’invite à diner après-demain.
En ce moment, je vais au travail avec bonheur. Entre collègues, avec les enfants, tout ce passe bien au centre de loisir.
Mélanie et Ahmed sont arrivés chacun avec plus d’une heure de retard à cause, respectivement, d’une fuite d’eau et d’un réveil qui n’a pas sonné.
Pendant ma pause déjeuner, j’ai appelé le numéro de téléphone trouvé dans mon agenda. je suis tombée sur une boite vocale qui disait : « Cabinet de monsieur Génésis, grand mage, médium et désenvouteur. Lit dans les os de poulet. Amour, travail, chance, plumes de pigeon et dix doigts de la mains. »
Je m’interroge encore sur les plumes et les dix doigts.
10 septembre 2017
J’ai reçu, ce matin, une lettre de Sébastien qui m’explique pourquoi il a voulu rompre. Je ne retiens aucune de ses excuses. Il me parle d’une conversation que nous avons eu au restaurant. Il déforme complètement mes paroles. J’ai senti mon cœur se paralyser pendant que je lisait. Je n’ai pas à supporter ça! J’ai froissé et jeté ce monceau d’hypocrisies à la poubelle. Je lui en veux, c’est tout.
Je me suis confié à Mélanie. Je lui ai raconté que je souffrais toujours de ma rupture avec Sébastien. De son côté, elle m’a enfin révélé la nature de la relation qu’elle a entretenu avec notre directeur – relation qui fait encore jaser tout le monde. « Il a dix enfants, tous de femmes différentes, a-t-elle lâché. Je l’ai quitté pour de bon. »
Cette conversation et la date à laquelle j’écris, me font de nouveau m’interroger sur le nombre dix et les dix doigts de la main? Quelle genre de main compte autant d’appendices? Que signifie ce message?
11 septembre 2017
Le message au dix doigts ne quitte plus mon esprit comme si une présence maléfique s’était attachée à moi. Je me crève les yeux à lire l’adresse de monsieur Génésis, essayant de détecter une maladresse qui laisserait penser que cette écriture n’est pas la mienne. Ai-je souffert d’un trou noir pour oublier que j’avais pris l’adresse d’un médium? Je ne crois pas à la voyance. Ce genre de personnages est le dernier que j’ai envie de fréquenter. Ou bien aurait-on subtilisé mon agenda afin de me faire une mauvaise blague? hypothèse tout aussi inquiétante.
12 septembre 2017
Tandis que je remplissait la bouilloire pour mon thé du matin, j’ai eu l’impression que quelqu’un regardait par dessus mon épaule. Je me suis retournée en hurlant. Par la porte vitrée, j’ai cru apercevoir une silhouette. Après une longue hésitation, j’ai avancé vers le couloir et réalisé que j’avais confondu le porte-manteau avec un supposé visiteur. Je me suis sentie vraiment stupide.
Chez maman, j’ai mangé ma cuisse de poulet avec les doigts. Tandis que mes dents arrachaient un bout de chair, j’ai pensé au grand mage médium qui lit l’avenir dans les os de poulet. Je me suis imaginé la scène. Un rire est monté dans ma gorge et j’ai manqué de m’étouffer.
13 septembre 2017
Au travail, on m’a dit que j’avais mauvaise mine. Je me suis sentie comme prise en faute. J’ai balbutié quelque chose sur mon état de santé, que je me sentais barbouillée.
Je n’ai pas envie de parler.
14 septembre 2017
Le chiffre dix n’arrête pas de revenir. Pire : je crois que l’on s’est introduit chez moi.
En ouvrant le placard à provision, j’ai trouvé dix boites d’allumettes, alignées de manière méthodique sur le rebord de l’étagère. Je suis resté plantée là, incapable de faire un geste pendant que la panique montait en moi. Je ne range même pas les allumette à cet endroit. J’ai appelé ma mère. je lui ai dit que quelqu’un avait probablement forcé ma porte. Elle m’a dit de me calmer – typiquement ma mère. Je lui ai presque raccroché au nez. J’ai ensuite prévenu le centre de loisir que je me sentais malade et je me suis rendu au commissariat pour déposer une main-courante. J’ai attendu sur un siège inconfortable coincée entre un monsieur noir habillé d’une veste à carreaux et une jeune fille aux cheveux teints en rouge. Un homme menotté et escorté est passé devant nous. La policière qui a pris ma déposition a eu l’air de rire de mon histoire. En sortant j’ai éprouvé le besoin de marcher. J’ai poussé jusqu’à la librairie. Mon regard est tombé sur un livre qui n’avait rien à faire parmi les nouveautés : Dix Petits Nègres d’Agatha Christie. J’ai couru hors de la librairie et j’ai seulement repris mon souffle sur le trottoir d’en face.
Je me suis relevé pour écrire car je fais des cauchemars. J’ai rêvé que je me tenais dans une poelle à frire. Le fond était brulant. Un nuage sombre et dense s’était formé au centre. Il dissimulait un secret très noir. On m’interdisait d’aller y voir et j’étais terrifiée, puis, brusquement, je me suis retrouvée dans ma chambre d’enfance avec des oiseaux morts sur le balcon.
15 septembre 2017
La nuit a été difficile.
J’ai essayé quatre fois d’appeler le numéro de monsieur Génésis. À chaque fois, je suis tombée sur le même message de cinglé.
J’ai peur. J’attends de savoir ce qu’il faut attendre.
Le journal s’achève par ces mots. J’avoue que découvrir les secrets d’une inconnue, se glisser dans sa vie, m’a donné quelques frissons. Qu’est devenue cette femme? Comment ne pas s’inquiéter pour elle? Je me sens secouée à l’idée que je l’ai peut-être un jour croisée dans la rue sans me douter de ce qu’elle vivait. Était-elle en train de sombrer dans la folie?
Comme par un fait étrange, j’ai trouvé ces pages sur le siège d’une station de la ligne 10 du métro.
Ce texte est ma participation à L’Agenda Ironique d’octobre où l’on doit plancher sur la genèse. Ce mois-ci, le jeu est organisé par Carnets Paresseux.
J’avoue écrire dans des conditions particulières. Ceci n’est qu’un petit blog, mais j’y tiens. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, j’ai été victime d’une logique sectaire. On m’a fait chanter. On a promis de détruire mon travail. Je suis tombée très malade.
Mon ordinateur a été piraté ainsi que mes brouillons. La menace que j’ai reçu est la suivante : cette nouvelle a déjà était publiée sur le net et tout le monde pensera que ce n’est pas toi qui écrit.
Si « Journaux intimes », ou seulement son scénario, a déjà vu le jour ailleurs, j’aimerais savoir où.
J’ai le brouillon disponible à la demande.
Autant dire que je suis catastrophée par ce qui m’arrive. Voici un blog (https://kristina-mindszenti.blogspot.com/), qui en dit peu, sur les pressions que je subits.
La véritable apocalypse consiste à laisser éclater au grand jour ce que sont les manipulations des missionnés, prétendus saints catholiques. Ces articles( Juda, La bête) peuvent éventuellement passer pour une forme de révélation mais dire que l’apocalypse tient à la perte et la diffamation sur le net d’une simple femme tient d’une logique parfaitement sectaire.
J’ai été trompée, vous avez été trompés.
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Ton texte est vraiment effrayant…
Bisous,
Mo
Ça c’est voulu comme ça 😉 bises et belle journée.
Je n’ai pas pour habitude de lire les textes de l’agenda avant d’avoir participée mais comme rien n’indiquait que s’en était un, j’ai été happée par ton récit à la fois inquiétant et observateur d’une vie qui ne nous appartient pas… et malgré le malaise qui m’a tenu tout au long de ma lecture, j’ai bien fait. 🙂
Bravo Anna
Merci Laurence, belle journée à toi.
enfin un agenda avec un agenda (je me comprends 🙂 ) ; et un texte angoissant et drôle en même temps. Merci d’avoir pris le temps de participer à ce petit jeu ; Bravo Anna ! pour le reste, tu as fait le plus dur, tiens bon !
Merci beaucoup!
tu avais 10 lecteurs qui aimaient ton histoire Anna 😮 mais en voilà 11 à présent , ouf !!!
😊
Ouf, on a passé l’étape du dix, merci Juliette!
Ce texte est formidable ! J’ai vraiment bien accroché et suis restée happée jusqu’à la fin ! Et puis l’humour pince sans rire est excellent ! Bravo 🙂
Si l’humour ne pince pas, est-ce de l’humour? Merci beaucoup.
Une atmosphère inquiétante et prenante, sans oublier l’assaisonnement humoristique, une bonne recette pour cet agenda ironique.
Bonne journée.
L’AI, toute une cuisine! Merci beaucoup 🙂
Un epu angoissant, ce texte, mais il nous tient jusqu’au bout… et au-delà !
L’important, c’est de tenir la route. Merci.